Mon voyage sur les terres de Skadi
Par Skadi Bella
( Ce qui suit est mon expérience personnelle uniquement, cela va sans dire, et n’a pas prétention à être une référence. )
Quand j’ai pris son nom pour nom de sorcière, je ne savais pas qui elle était. Je cherchais un nom pour représenter ma partie sombre, et j’ai trouvé un personnage dans les livres de Pullmann A la croisée des mondes, Ruta Skadi, une reine des sorcières du Nord terrifiante et splendide. J’ai senti une connection avec le nom avant même de savoir qu’il s’agissait d’une déesse. J’ai porté son nom alors, pas tout à fait en connaissance de cause, mais je ne le regrette pas. Mon intuition a porté ses fruits. Lorsque j’ai lu son histoire, c’était comme une part de moi même qui tombait en place. Elle correspondait tout à fait à cette force sombre que j’avais ressenti en moi-même, de sauvagerie, d’orgueil et d’immobilité glaciale.
Alors ce n’était pas exactement une manière facile de commencer une relation avec une divinité, trouver le point d’approche dans ce que j’avais de plus sombre et désespérant. Elle faisait partie de moi, mais en même temps c’était une force de la nature extérieure, bien réelle. Petit à petit j’ai senti qu’il y avait comme une présence à mes côtés, quand j’agissais, une présence en moi de sa part, mais distante, qui me surveillait et probablement ne me trouvait pas prête et trop jeune. Elle est revenue à moi, pendant une méditation runique sur la rune Wunjo, pourtant rune du bonheur, de la joie et du plaisir physique qui de prime abord n’a pas l’air d’avoir grand chose à voir avec Skaði. Mais en fait, cette méditation m’a emmenée vers des montagnes glacées, et en dessous, dans le ventre de la terre, dans des cavernes noires, immenses, traversées par des rafales de vent, et là je voyais des corbeaux qui dansaient, virevoltaient, et une grande rune Wunjo, en pierre, autour de laquelle je dansais, m’accorchais, tournoyais suspendue à l’envers. Au dessus je voyais le visage de Skaði, immense, aux yeux violets, un sourire aux dents bien acérées et une expression de joie quasi-extatique sur le visage, et je me souviens d’avoir ressenti une joie exhilarante, débridée : la joie du sauvage à l’état pur. La liberté, primale, et aussi une sorte de vertige délicieux et débridé, mais dans un sens très pur – un peu comme si vous aviez respiré trop d’oxygène, ou pas assez.J’entrevoyais là un côté beaucoup plus attirant de Skadi, quasi-hypnotique. Cela m’a vraiment surpris, mais c’était une sorte de talisman aussi, pour moi qui ai toujours eu du mal avec cet aspect de moi même.
Et puis en février dernier, nous sommes partis au ski, avec mon père et ma soeur. C’était donc le moment idéal pour travailler sur ma relation avec ma patronne…Le ski, j’aime beaucoup, mais le ski ne m’aime pas, vu que j’ai une coordination dans l’espace hum…pas terrible.
J’écoutais Wake Skadi sur le chemin aller pour me mettre dans l’ambiance. Ah, les Alpes ! C’est vraiment très très beau ! A midi avant d’aller sur les pistes, je bois quelques verres de vin. Tout juste pompette, mais je tiens bien sur mes jambes, quand même. Et au début, ça me fait peur, mais ensuite…c’est de mieux en mieux, l’ivresse de la vitesse me prend doucement, je tourne et je maîtrise, c’est génial ! Le soir tombe peu à peu et il n’y a pas beaucoup de choses plus belles, à mon avis, que le crépuscule à la montagne, lorsque le ciel se teinte de violet et de rose, une légère brume capture les dernières lueurs, le blanc est flamboyant…
Je remercie ma Déesse pour ce beau cadeau. Mais ensuite, je déchante. Tout d’abord, on est dans une station ultra-luxe, bling-bling, avec des Russes qui distribuent des pourboires de 20 euros, des VIP au teint carotte, une fausse ambiance ‘chalet’, des vitrines Chanel et Valentino, des casinos…bref, à l’opposé exact de ce que Skadi représente. Et tout ce bruit, le côté clinquant, je trouve ça…irrespectueux, j’aimerais que la montagne soit un sanctuaire. Bref, j’étais déjà bien énervée. Le deuxième jour, j’ai des crampes partout. Pas très sportive, et dormi sur un lit tout dur. Hmm… Je tombe, une fois, deux fois, trois fois, et le pire ce n’est pas la douleur ( rouler dans la neige, c’est limite marrant…) mais la honte. Mon père, derrière moi, me donne des conseils évidents, comme si j’étais une gamine légèrement retardée – comme si souvent… Le deuxième côté de Skadi : elle est dure envers les orgueilleux. Exaspérée, je dis à mon père de me ficher la paix et je finis la piste à pied. Clairement, quelque chose s’est bloqué. C’est physique – mes muscles ont du mal à tenir, je ne fais plus trop confiance à mon corps – tout autant que psychologique. La voix de mes parents envahissent ma tête – on le savait bien, tu es nulle, peureuse, lâche, quand il s’agit d’agir, il n’y a plus rien…et là, hop, je tombe.
Plus tard, je me force à recommencer cette piste et à la finir. Je chantonne entre mes dents, un air de jazz ( aucune idée d’où ça vient ça …) Doucement, je m’acharne, je reste concentrée malgré le fait que ça fait vachement mal. J’ai envie d’être digne de Skadi. Le lendemain, ça va un peu mieux, jusqu’à ce que les acharnés de la performance m’entraînent sur une piste plus difficile et là je bloque de nouveau. Alors je m’installe à une terrasse au sommet, j’attends et je médite, dans un transat. Des vieux souvenirs remontent à la surface. Petite, j’aimais bouger, grimper dans les arbres et courir. Que s’est il passé ? Encore la faute à papa et maman, j’imagine ^^ Mon père me mettait bien des claques pour que je remonte sur mon vélo. C’était un acharné qui allait à sa salle de gym deux fois par semaines. Ma mère, elle, était capable de marcher 4h d’affilée, qu’il pleuve, grèle ou vente, et elle me forçait souvent à venir avec elle. Une fois, même, alors que j’étais clairement malade, et à l’arrivée j’ai vomi partout sur la place du village. Chouette. De quoi aimer le sport. Réaction classique : je cours dans l’autre sens.
Mais alors que ces souvenirs me reviennent, je sens que Skadi – qui ne me parle pas mais qui EST là, tout autour, comme une sorte de champ de force, et plus encore sur les sommets immaculés, ne comprend pas grand chose à ces petits problèmes humains. Elle est là, éternelle, grande et parfaite, comme un aimant qui m’attire ; elle est la force qui me poussera à viser haut, avec moi dans mes moments de grandeur, de puissance ; pure aussi, elle n’a rien à faire des doutes et des petites vanités humaines. Elle est comme l’avalanche, une force qui renverse tout sur son passage, et à ce moment je me sens trop petite et trop fragile et humaine pour cette énergie là. Qui pourtant, fait partie de moi. Elle est mordante comme le gel, et inspirante, et inflexible.
Je me relève. Le lendemain, m’ayant abandonnée comme définitivement nulle, mon père et ma soeur sont partis braver les pentes raides, et moi, tranquille, je fais la piste que j’aime le mieux, qui serpente à travers la forêt, fait face au Mont-Blanc. Je me dirige vers l’endroit que j’avais repéré la veille et qui sera parfait pour faire mon rituel. Je me défais de mes skis, que je planque derrière un arbre, et je monte, en haut de la piste, vers les arbres. Je monte et monte encore, pour me mettre à l’abri des regards, et là dans le fond, je vois un petit troupeau de chamois qui s’enfuit, comme un signe. Arrivée là où ils étaient, je trouve un petit sapin tout jeune, éclairé par le soleil. Je fais mon rituel à son pied, un rituel tout simple, car j’ai l’impression que Skadi n’aime pas les dévotions trop compliquées ou ornementées. Je chante l’invocation, plusieurs fois, avec une voix grave, et ma perception bascule. Je suis devant la Dame, comme je suis, et une partie de moi dit que je ne suis pas digne, mais je tente le tout pour le tout ; je demande humblement son patronage.
Alors la Dame ‘dit’ ( ou en tout cas c’est ce que je ressens des énergies reçues ) : tout ça, ce sont des bêtises, tu es en chemin sur Ma voie, tu es plongée dans la nuit, et cela est nécessaire pour que tu grandisses . La Montagne ne se gravit pas en un jour. Ce qu’il faut, c’est que tu comprennes, et que le changement s’enracine en toi jusqu’au plus profond. Alors, lance toi et arrête de chouiner. La route sera longue et pénible et difficile, mais tu l’as choisie. Mes filles doivent avant tout s’appartenir à elles-mêmes, et ne s’aplatir devant aucune divinité, ou édit extérieur. Tu es prudente, c’est bien, car ici, c’est dangereux, un pas de trop et on tombe. Tu n’es pas prête pour chasser sur mes hautes terres, mais je vais te préparer.
Et la Louve Blanche sourit. Je verse du vin en offrande, du pain aux épices – ce que j’ai pu trouver de moins compliqué, de la nourriture de survie. En offrande sur la terre. Et il y a une dernière chose : une petite boîte que je n’avais pas spécialement l’intention de laisser, mais finalement je comprends bien que telle est sa place. Mon premier sort : vers treize ans, j’avais rencontré une biche prise dans le grillage, totalement paniquée, et j’ai dû lui faire encore plus peur ; finalement, elle s’est enfuie, laissant des poils ensanglantés sur le barbelé, et j’avais recueilli ces poils et dit une prière pour elle. Avec les années, je l’avais trimballé partout. J’avais énormément d’empathie pour elle, je m’y identifiais, la proie terrorisée et gracile, toujours en fuite. A cet instant, le signe était clair : j’abandonnais la boîte. La Chassée devenait Chasseresse. Mais la Dame me soufflait toujours à l’oreille : N’oublie jamais que les deux sont liées ; que même la montagne respire et un jour, sera réduite à la poussière. Plus l’ambition est grande, plus l’humilité doit l’accompagner. Sinon, l’équilibre est rompu, et j’avale les idiots dans mes précipices. Cela commence ici : connais tes forces et tes faiblesses. Observes et grandis.
Le dernier jour, au matin, me voilà sur le sommet d’une montagne, face à un col flamboyant, prête à me lancer encore dans une descente, quand j’ai une épiphanie : mais qu’est ce que je fous là ? Je n’aime pas la vitesse excessive. J’ai des crampes partout. J’ai une dangereuse fascination pour le vide. Je suis en train de m’acharner pour faire plaisir à mon père, alors que je réclame depuis le début de la semaine une balade pour pouvoir enfin profiter du paysage splendide. C’est ridicule. Je descends tranquillement la piste, je dis à mon père ébahi que je vais me balader et que je les retrouverai le soir à l’appart. Peut être, un jour, que j’aimerai le ski, quand j’aurai la préparation physique nécessaire, et quand je ne ferai plus ça pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Et il y a d’autres manières d’apprécier la montagne. L’escalade, par exemple. La conquête lente du sommet. Ca, c’est plus mon truc, déjà. Mais être dure avec soi même, de façon inutile et gratuite, ce n’est pas être digne de Skadi, c’est être stupide et gaspiller ses ressources. Choisir des objectifs qui en valent vraiment la peine, voilà une première leçon.
Une dernière fois, je prends le téléphérique pour me retrouver face au Mont-Blanc, le sommet le plus haut, et je me trouve l’endroit parfait pour un dernier rituel. La vue est saisissante :
( Ce qui suit est mon expérience personnelle uniquement, cela va sans dire, et n’a pas prétention à être une référence. )
Quand j’ai pris son nom pour nom de sorcière, je ne savais pas qui elle était. Je cherchais un nom pour représenter ma partie sombre, et j’ai trouvé un personnage dans les livres de Pullmann A la croisée des mondes, Ruta Skadi, une reine des sorcières du Nord terrifiante et splendide. J’ai senti une connection avec le nom avant même de savoir qu’il s’agissait d’une déesse. J’ai porté son nom alors, pas tout à fait en connaissance de cause, mais je ne le regrette pas. Mon intuition a porté ses fruits. Lorsque j’ai lu son histoire, c’était comme une part de moi même qui tombait en place. Elle correspondait tout à fait à cette force sombre que j’avais ressenti en moi-même, de sauvagerie, d’orgueil et d’immobilité glaciale.
Alors ce n’était pas exactement une manière facile de commencer une relation avec une divinité, trouver le point d’approche dans ce que j’avais de plus sombre et désespérant. Elle faisait partie de moi, mais en même temps c’était une force de la nature extérieure, bien réelle. Petit à petit j’ai senti qu’il y avait comme une présence à mes côtés, quand j’agissais, une présence en moi de sa part, mais distante, qui me surveillait et probablement ne me trouvait pas prête et trop jeune. Elle est revenue à moi, pendant une méditation runique sur la rune Wunjo, pourtant rune du bonheur, de la joie et du plaisir physique qui de prime abord n’a pas l’air d’avoir grand chose à voir avec Skaði. Mais en fait, cette méditation m’a emmenée vers des montagnes glacées, et en dessous, dans le ventre de la terre, dans des cavernes noires, immenses, traversées par des rafales de vent, et là je voyais des corbeaux qui dansaient, virevoltaient, et une grande rune Wunjo, en pierre, autour de laquelle je dansais, m’accorchais, tournoyais suspendue à l’envers. Au dessus je voyais le visage de Skaði, immense, aux yeux violets, un sourire aux dents bien acérées et une expression de joie quasi-extatique sur le visage, et je me souviens d’avoir ressenti une joie exhilarante, débridée : la joie du sauvage à l’état pur. La liberté, primale, et aussi une sorte de vertige délicieux et débridé, mais dans un sens très pur – un peu comme si vous aviez respiré trop d’oxygène, ou pas assez.J’entrevoyais là un côté beaucoup plus attirant de Skadi, quasi-hypnotique. Cela m’a vraiment surpris, mais c’était une sorte de talisman aussi, pour moi qui ai toujours eu du mal avec cet aspect de moi même.
Et puis en février dernier, nous sommes partis au ski, avec mon père et ma soeur. C’était donc le moment idéal pour travailler sur ma relation avec ma patronne…Le ski, j’aime beaucoup, mais le ski ne m’aime pas, vu que j’ai une coordination dans l’espace hum…pas terrible.
J’écoutais Wake Skadi sur le chemin aller pour me mettre dans l’ambiance. Ah, les Alpes ! C’est vraiment très très beau ! A midi avant d’aller sur les pistes, je bois quelques verres de vin. Tout juste pompette, mais je tiens bien sur mes jambes, quand même. Et au début, ça me fait peur, mais ensuite…c’est de mieux en mieux, l’ivresse de la vitesse me prend doucement, je tourne et je maîtrise, c’est génial ! Le soir tombe peu à peu et il n’y a pas beaucoup de choses plus belles, à mon avis, que le crépuscule à la montagne, lorsque le ciel se teinte de violet et de rose, une légère brume capture les dernières lueurs, le blanc est flamboyant…
Je remercie ma Déesse pour ce beau cadeau. Mais ensuite, je déchante. Tout d’abord, on est dans une station ultra-luxe, bling-bling, avec des Russes qui distribuent des pourboires de 20 euros, des VIP au teint carotte, une fausse ambiance ‘chalet’, des vitrines Chanel et Valentino, des casinos…bref, à l’opposé exact de ce que Skadi représente. Et tout ce bruit, le côté clinquant, je trouve ça…irrespectueux, j’aimerais que la montagne soit un sanctuaire. Bref, j’étais déjà bien énervée. Le deuxième jour, j’ai des crampes partout. Pas très sportive, et dormi sur un lit tout dur. Hmm… Je tombe, une fois, deux fois, trois fois, et le pire ce n’est pas la douleur ( rouler dans la neige, c’est limite marrant…) mais la honte. Mon père, derrière moi, me donne des conseils évidents, comme si j’étais une gamine légèrement retardée – comme si souvent… Le deuxième côté de Skadi : elle est dure envers les orgueilleux. Exaspérée, je dis à mon père de me ficher la paix et je finis la piste à pied. Clairement, quelque chose s’est bloqué. C’est physique – mes muscles ont du mal à tenir, je ne fais plus trop confiance à mon corps – tout autant que psychologique. La voix de mes parents envahissent ma tête – on le savait bien, tu es nulle, peureuse, lâche, quand il s’agit d’agir, il n’y a plus rien…et là, hop, je tombe.
Plus tard, je me force à recommencer cette piste et à la finir. Je chantonne entre mes dents, un air de jazz ( aucune idée d’où ça vient ça …) Doucement, je m’acharne, je reste concentrée malgré le fait que ça fait vachement mal. J’ai envie d’être digne de Skadi. Le lendemain, ça va un peu mieux, jusqu’à ce que les acharnés de la performance m’entraînent sur une piste plus difficile et là je bloque de nouveau. Alors je m’installe à une terrasse au sommet, j’attends et je médite, dans un transat. Des vieux souvenirs remontent à la surface. Petite, j’aimais bouger, grimper dans les arbres et courir. Que s’est il passé ? Encore la faute à papa et maman, j’imagine ^^ Mon père me mettait bien des claques pour que je remonte sur mon vélo. C’était un acharné qui allait à sa salle de gym deux fois par semaines. Ma mère, elle, était capable de marcher 4h d’affilée, qu’il pleuve, grèle ou vente, et elle me forçait souvent à venir avec elle. Une fois, même, alors que j’étais clairement malade, et à l’arrivée j’ai vomi partout sur la place du village. Chouette. De quoi aimer le sport. Réaction classique : je cours dans l’autre sens.
Mais alors que ces souvenirs me reviennent, je sens que Skadi – qui ne me parle pas mais qui EST là, tout autour, comme une sorte de champ de force, et plus encore sur les sommets immaculés, ne comprend pas grand chose à ces petits problèmes humains. Elle est là, éternelle, grande et parfaite, comme un aimant qui m’attire ; elle est la force qui me poussera à viser haut, avec moi dans mes moments de grandeur, de puissance ; pure aussi, elle n’a rien à faire des doutes et des petites vanités humaines. Elle est comme l’avalanche, une force qui renverse tout sur son passage, et à ce moment je me sens trop petite et trop fragile et humaine pour cette énergie là. Qui pourtant, fait partie de moi. Elle est mordante comme le gel, et inspirante, et inflexible.
Je me relève. Le lendemain, m’ayant abandonnée comme définitivement nulle, mon père et ma soeur sont partis braver les pentes raides, et moi, tranquille, je fais la piste que j’aime le mieux, qui serpente à travers la forêt, fait face au Mont-Blanc. Je me dirige vers l’endroit que j’avais repéré la veille et qui sera parfait pour faire mon rituel. Je me défais de mes skis, que je planque derrière un arbre, et je monte, en haut de la piste, vers les arbres. Je monte et monte encore, pour me mettre à l’abri des regards, et là dans le fond, je vois un petit troupeau de chamois qui s’enfuit, comme un signe. Arrivée là où ils étaient, je trouve un petit sapin tout jeune, éclairé par le soleil. Je fais mon rituel à son pied, un rituel tout simple, car j’ai l’impression que Skadi n’aime pas les dévotions trop compliquées ou ornementées. Je chante l’invocation, plusieurs fois, avec une voix grave, et ma perception bascule. Je suis devant la Dame, comme je suis, et une partie de moi dit que je ne suis pas digne, mais je tente le tout pour le tout ; je demande humblement son patronage.
Alors la Dame ‘dit’ ( ou en tout cas c’est ce que je ressens des énergies reçues ) : tout ça, ce sont des bêtises, tu es en chemin sur Ma voie, tu es plongée dans la nuit, et cela est nécessaire pour que tu grandisses . La Montagne ne se gravit pas en un jour. Ce qu’il faut, c’est que tu comprennes, et que le changement s’enracine en toi jusqu’au plus profond. Alors, lance toi et arrête de chouiner. La route sera longue et pénible et difficile, mais tu l’as choisie. Mes filles doivent avant tout s’appartenir à elles-mêmes, et ne s’aplatir devant aucune divinité, ou édit extérieur. Tu es prudente, c’est bien, car ici, c’est dangereux, un pas de trop et on tombe. Tu n’es pas prête pour chasser sur mes hautes terres, mais je vais te préparer.
Et la Louve Blanche sourit. Je verse du vin en offrande, du pain aux épices – ce que j’ai pu trouver de moins compliqué, de la nourriture de survie. En offrande sur la terre. Et il y a une dernière chose : une petite boîte que je n’avais pas spécialement l’intention de laisser, mais finalement je comprends bien que telle est sa place. Mon premier sort : vers treize ans, j’avais rencontré une biche prise dans le grillage, totalement paniquée, et j’ai dû lui faire encore plus peur ; finalement, elle s’est enfuie, laissant des poils ensanglantés sur le barbelé, et j’avais recueilli ces poils et dit une prière pour elle. Avec les années, je l’avais trimballé partout. J’avais énormément d’empathie pour elle, je m’y identifiais, la proie terrorisée et gracile, toujours en fuite. A cet instant, le signe était clair : j’abandonnais la boîte. La Chassée devenait Chasseresse. Mais la Dame me soufflait toujours à l’oreille : N’oublie jamais que les deux sont liées ; que même la montagne respire et un jour, sera réduite à la poussière. Plus l’ambition est grande, plus l’humilité doit l’accompagner. Sinon, l’équilibre est rompu, et j’avale les idiots dans mes précipices. Cela commence ici : connais tes forces et tes faiblesses. Observes et grandis.
Le dernier jour, au matin, me voilà sur le sommet d’une montagne, face à un col flamboyant, prête à me lancer encore dans une descente, quand j’ai une épiphanie : mais qu’est ce que je fous là ? Je n’aime pas la vitesse excessive. J’ai des crampes partout. J’ai une dangereuse fascination pour le vide. Je suis en train de m’acharner pour faire plaisir à mon père, alors que je réclame depuis le début de la semaine une balade pour pouvoir enfin profiter du paysage splendide. C’est ridicule. Je descends tranquillement la piste, je dis à mon père ébahi que je vais me balader et que je les retrouverai le soir à l’appart. Peut être, un jour, que j’aimerai le ski, quand j’aurai la préparation physique nécessaire, et quand je ne ferai plus ça pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Et il y a d’autres manières d’apprécier la montagne. L’escalade, par exemple. La conquête lente du sommet. Ca, c’est plus mon truc, déjà. Mais être dure avec soi même, de façon inutile et gratuite, ce n’est pas être digne de Skadi, c’est être stupide et gaspiller ses ressources. Choisir des objectifs qui en valent vraiment la peine, voilà une première leçon.
Une dernière fois, je prends le téléphérique pour me retrouver face au Mont-Blanc, le sommet le plus haut, et je me trouve l’endroit parfait pour un dernier rituel. La vue est saisissante :
Avant d’en arriver là, j’ai du me rouler dans la neige et m’accrocher aux branches pour ne pas tomber dans le vide, comme une vraie sauvageonne. Là sur mon petit promontoire dans le cocon d’arbres, je fais une visualisation libre après avoir invité Skadi de nouveau. Etrangement, c’est un renard qui apparaît pour me guider. Sur des fonds d’aurore boréale, il me montre mon cadeau : c’est une sorte d’étrange mécanique autour d’un coeur qui bât, avec des aiguilles très fines. Il me dit que c’est un instrument qui sert à voir les limites des mondes et à travers eux, et de me servir de leurs forces, et que c’est mon don naturel. Ensuite, l’instrument est absorbé dans ma poitrine au niveau du coeur, et je reviens. Assez perplexe, je continue mon rituel en consacrant un pendule à Skadi, en cristal, qui ressemble à un morceau de glace. Je la remercie de veiller sur moi. Je n’ai pas envie de clore, la force sauvage de la nature autour moi semble plus vive, elle m’entoure et me baigne, et je suis heureuse. Mais je ne peux pas rester ici à l’année, alors je fais mes offrandes et je repars.
Trois jours plus tard, mon pendule me glisse des mains et se brise. Pas le bon moyen de communiquer alors. C’est une route difficile qui m’attend, je le sais. De nombreuses fois, l’énergie de Skadi est trop dure et pure, je ne sais pas quoi faire avec, elle me brise le dos. Pourtant, il faudra bien que je m’en serve. Si elle me l’a donnée, ce n’est pas pour rien. On dit souvent que Skadi n’aime pas les hésitants et les faibles et ceux qui gémissent. Pourtant, je suis faible parfois. Je suis humaine, après tout, je ne me le cache pas, et je fais de mon mieux pour avancer. Je crois que ce qu’elle déteste le plus, ce sont les menteurs, ceux qui se mentent à eux-mêmes, les fanfarons, les traîtres. La Dame est solitaire, et pourtant, elle est aussi l’esprit de la meute, qui doit s’entendre pour survivre. Son courage n’a rien de grandiloquent : son courage est efficace, froid et silencieux comme l’hiver. Mortel pour celui qui n’est pas préparé. Sa leçon, pour moi, est que trouver et suivre sa propre Vérité, sa propre nature, et lui être fidèle, est essentiel pour survivre. Elle est un aspect de la femme sauvage, qui peut faire peur, qui est étrange, qui ne fait pas de compromis. Elle pulvérise les illusions et ce qui n’est pas nécessaire. Elle ne fait pas de cadeaux, mais elle est aussi celle qui protège la terre pour qu’elle se régénère ; elle peut aussi se montrer attentive, pleine d’une tendresse parfois un peu brutale…Elle a un sens de l’humour assez particulier. Elle se retrouve aussi dans l’ivresse de la vitesse, de la chasse, des hauteurs et des profondeurs, la soif de la justice, la passion froide et déterminée. Indépendante, mais jamais frigide ou effrayée. Féroce, et souveraine sur ses terres chéries. Brillante et sombre à la fois, une clarté obscure à couper le souffle, une trace fugitive sur la neige, toujours en avance sur ceux qui essayent de la suivre…
Pour revenir à la Croisée des Mondes, il y a un passage qui m’a toujours beaucoup fait penser à Skadi. L’héroïne est assise dans un ballon dirigeable qui survole l’Arctique, et dehors, à côté, il y a une sorcière qui vole, sur sa branche de sapin. L’héroïne lui demande si elle n’a pas froid, car elle ne porte que quelques voiles noirs. La sorcière répond que, si, elle a froid, mais que si elle s’habillait plus, elle ne sentirait pas le picotement de l’Aurore sur sa peau…